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Photo du rédacteurThierry Vimal

PILLAGES


Monstres en poème,

ni fleurs ni oiseaux.

Si : fleurs.


Et oiseaux.


Ils volent sur les corps.

Ils volent sur ma mère.

Ils rigolent.

Les corps, blessés,

agonisant

morts :

pillés.


Pillages.

What did you expect ?


Et des enfants ont assisté à ça.

Une seule personne

n’en a jamais entendu parler :

la plus mal informée.

Qui sait si elle n'aurait pas pu

avec son matériel

nous en coincer deux ou trois ?


Fauché fut-il déjà

aussi opportun ?

Âmes fauchées.

Fauchés comme des épis de blé.

Fauchés des fêtes populaires.

Fauche dans les sacs.


En glanant

deux ou trois bons téléphones

un peu de cash

combien s’est on fait ?

Trois, quatre cents balles ?

Un Vuitton ? Bonne pioche !

L’iPhone IV de la Señorita

dut rapporter peu.

Il borna

puis s’éteignit

deux heures après elle.


Un malin

sur Leboncoin

revendit

des objets récupérés sur la Prom'

sans valeur

sinon pour leur côté collector.

Bagues, bracelets, drapeaux et lunettes

furent retrouvés à son domicile.


Qu’est-il devenu, ce drôle ?

On n’en eut plus de nouvelles.

On l’aurait bien vu

dans le box

parmi les connexes.


(Déjà,

comment choisir la revente

d’un téléphone trouvé aux toilettes

plutôt que la joie

de le rendre à la personne

accablée

qui l’avait perdu ?)


Déduisons :

quand nous sommes dans une foule

se trouvent

dans les trois cents mètres à la ronde

une flopée de personnes

– mâles à 99%, gageons –

à même,

en cas de déflagration

dont ils réchapperaient,

de bondir sur votre besace.


Si l’on considère

que dans ce même environnement

foisonnent

agresseurs sexuels

bourreaux de femmes

en tous genres

nous avons largement de quoi

décider d’aller nous réfugier

ailleurs que dans la vraie vie.

Peut-être bien

qu’on le fera.


L’on pilla aussi

les dignités

pour les besoins de la cause.

On filma.


La médecine légale

(ce fut débattu dans cette chronique

et dans ce procès)

pilla

les corps d’innocents

tombés pour la France,

s’emparant de 170 organes

dont l’enquête avait

massivement

besoin.


Des caméras cherchèrent

tous nos orifices.

Ceux qui parlent avec les morts

nous écrivirent par dizaines

que de là-haut

on les pressait

de nous transmettre un message.

Partis et fédérations

voulurent planter leurs bannières

dans nos potagers de misère.


Peut-on classer ces pillages

du plus vil au plus noble ?


S’il en est un à admettre,

de pillage,

c’est le premier,

celui qui

dès la préhistoire

nous fit inventer

la sépulture.


15 juillet 2016

le jour monta

indifférent

sur la Promenade des Anglais.

Le pillage le plus juste

commença.

Celui des corneilles,

des goélands.

Guêpes.

Mouches.

(Jadis, il y aurait eu aussi

des crabes verts.

Gypaètes barbus ?)


La nature reprend

par lambeaux

fils sanglants

ce qui est à elle, de droit.

C’est elle la plus pressée

de restituer les dignités

à ses enfants.

Elle veut empêcher

le Parquet

les légistes

le grand soleil de midi

de faire leur œuvre.


Immédiatement.

Dans la seconde qui suit la mort

son travail commence :

reconduire la forme

vers la poussière.


Si jadis

l’on crut impurs

les corps des morts,

peut-être se demandait-on

quel sortilège leur arrivait

pour qu’ils se transforment ainsi

si vite

par l’œuvre

de tant d’animaux

spécialisés.


D’un point de vue purement biologique

prendre aux goélands

pour donner à la vermine souterraine

revient au même.

Mais pour nous autres

tristes vivants

il est mieux que ces choses-là

adviennent sous terre

dans la pudeur du noir.


En Inde, les Saints

affranchis du samsāra

sont jetés aux poissons

du holy Gange

ou inhumés

en pleine terre.

Les Zooastristes

donnent leurs défunts

en offrande aux vautours

lesquels ne volent

que dans les cieux.

Inhumation céleste.


Elle a le droit

la nature

de piller les morts.


Faut-il dès lors

considérer les pilleurs de la Prom'

comme des charognards biologiques

– vers, mouches, hyènes –

avec le respect

qui leur est dû ?

Sont-ils tout simplement

des entités vivantes

non humaines ?


Ou bien sont-ils

au contraire

exactement humains ?


Cette chronique est dédiée

avec amour

à la dépouille la plus pillée en France

au mois d’octobre 2022.


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