Pour le verdict,
on hésita :
île de la cité
ou
Palais Acropolis ?
Paris fut choisi.
Sans conviction d’abord.
Mais
à deux jours du verdict,
intime conviction était faite.
Un verdict à Acropolis ?
Trop dangereux.
Quelle que soit la décision de la cour,
ils seront furieux.
Ils repartiront en colère.
Ils tueront des gens.
Qui pourrait bien
repartir heureux
du procès
de cet attentat-là
ou de n’importe quel autre ?
Car
disent l’Ami spirituel
et la Senorita
il n’y aura ni justice
ni réparation.
(Peut-être
un semblant de satisfaction
le sentiment
d'une rustine ?)
Ni justice ni réparation
en tout cas pas ici
pas dans ce monde
pas de la part des hommes.
Mais les Dieux
leur temps venu
nous donneront bien plus.
Entendre l’horreur
des témoignages de victimes
ne m’apporta aucun indice
quant à l’implication des accusés.
Donc
je ne fus pas sujet
au mécanisme :
« plus j’en entends
plus je désire qu’ils morflent ».
Pendant le temps alloué
à l'interrogatoire des accusés
en revanche
chacun de leurs mots
me convainquit davantage
de leur culpabilité.
Leur défense pourtant
surtout celle de Chafroud
en quelques phrases
me fit douter.
Et c’était bien.
C’était mon devoir de douter.
Est-ce ma faute à moi
si quand les défunts d’autres
les honnissent de recevoir de l’argent
mais les supplient d’obtenir
les peines maximales
quelle que soit la vérité
ma défunte à moi
depuis ses cieux me dit :
« prends tout l’argent qui se présente
quant aux peines proclamées
désire-les justes
plutôt que longues. »
?
Verdict fut rendu
dans une salle pleine
comme un bateau-mouche.
Tenons-nous en à Ghraieb
à Chafroud
les deux les plus
éventuellement terroristes.
Raviot
en l’ultime journée d’audience pénale
les déclara
à la majorité de la cour
coupables
d’association de malfaiteurs
terroriste.
Dix-huit ans ferme
chacun.
Dix-huit ans ?
Merde,
me dis-je.
Car en vérité
ce n’était pas la cour
mais moi-même
qui les condamnait à cette peine.
Et c’était bien la première fois
que je condamnais des gens
à dix-huit ans de prison.
Ça fit bizarre.
C’était très solennel.
Très angoissant, aussi :
« la messe est dite
chuchota la Señorita
alors j’espère
que tu ne t’es pas trompé.
Ça craindrait.
Dix-huit ans,
Papounet,
c’est pas rien. »
Ce dialogue
intime
initiatique
essentiel
fut interrompu
par des applaudissements
de la joie
un bras d’honneur
intempestifs à mon goût.
Un bras d’honneur ?
Ca veut dire qu’on les a eus ?
Qu’on les a niqués
qu’on les emmerde ?
Non non,
c’est bien eux
qui nous ont niqués.
Ils restent les vainqueurs
même si nous les décapitons.
Range ton bras,
va,
garde juste l’honneur
et celui de nos morts.
Le pluriel
ne vaut rien à l’Homme
et ainsi
la loi du plus grand nombre
confisqua l’ampleur
la saveur
l’odeur
de mon moment de verdict.
De la même manière que
la majorité des avocats
paresseuse face aux nuances
et peu soucieuse des minorités
m’avait confisqué le droit de douter.
De la même manière que
la médecine légale
m’a confisqué des organes
et Bouhlel
ma fille.
Confiscations
moyennes ou grandes
mais
confiscations.
Foutu monde
de confiscateurs
cannibales.
Combien de temps croiront-ils,
les proches de victimes,
qu’ils sont ressortis gagnants ?
Un gars tue 86 personnes
ses comparses prennent dix-huit ans.
Voyez-vous quoi que ce soit
dans cette histoire
de réjouissant ?
Nous sommes de la loose
forever.
Un gars
dans le hall
après la clôture
sautait de joie
trépignait frétillait
riait
serrait les gens contre lui
comme si la France
était championne du monde :
à côté de la plaque.
Grossier.
Obscène.
C’est sur le corps de ma fille
qu’il sautillait.
J’aurais tant aimé
au sortir d’un moment si important
réussir
à aimer dans la bienveillance
la vulgarité
du peuple des Vulgaires.
M’attendrir sur la grossièreté
des bras d’honneur.
Pauvre chère bêtise,
que je ne hais pas, moi,
et que je regarde avec des yeux maternels ;
car c’est une enfance,
et toute enfance
est sacrée.
(George Sand)
Si enfantins
oui
tous
qu’un souffle du président Raviot
suffit à les faire taire
penauds.
(Dès qu’il aura le dos tourné
ils recommenceront.)
J’aurais aimé
ne pas les trouver
souvent
plus proches des accusés que de moi.
Ils n’ont tué personne
mais va savoir lesquels
lâchés dans les rues
à l’issue d’un acquittement
auraient basculé
dans la tuerie sanguinaire.
Le peuple est épris de justice
mais pas de celle en vigueur.
Combien de centaines étaient-ils
à Hautefaye
1870
à lyncher
brûler
manger
le nommé Monéys ?
Merci à vous
président Raviot
non pas pour ce verdict
qui par nature
n’appelle aucun remerciement
qui mettrait en doute
sa neutralité.
Merci pour la dignité
offerte au procès.
Pour l’avoir présidé
sans gesticulations
ni exaltation
mais
en
travaillant.
En écoutant,
cherchant à comprendre,
sans hésiter à se reprendre,
à faire répéter,
à exiger de la précision,
en préservant
– et je devine que ce fut dur –
sa hauteur
à l’Institution justice.
Les accusés
les témoins les experts
avocats et parties civiles
Hollande Estrosi stars
cette grande foire,
vendeurs acheteurs bestiaux
lapins et poulets en cage
plumes en l’air et bouses au sol
balles de paille et sacs de jute
ivrognes et barriques…
Chacun dans son rôle
tenta de tracer
son propre itinéraire de sens
sous la houlette
du grand discliplineur Raviot
et sa sœur Bessone assesseur
qui jusqu’au bout surent maintenir
à cette grande foire
une forme unique
spatiale
temporaire et lisible.
« Fais-moi voir tes branches de lunettes
disait chaque soir à table
Madame Raviot.
Et comme le président refusait
elle allait elle-même
les examiner dans l’étui
et menaçait :
Oh toi,
après le procès,
t’as intérêt
à me prendre des vacances ! »
S’il fallait vous reprocher une chose
une indignité
cher président Raviot
et je vous le dis au nom de toute la ville
de Nice
c’est d’avoir laissé
cette Master the King
maltraiter notre bon maire
à coups de questions
inadmissibles
taraudant
inadmissiblement
les parties civiles !
Comment avez-vous pu laisser faire ?
La laisser mener sa petite barque ?
Il était pourtant écrit au dossier
qu’elle seule
l’avait fait citer à la barre.
Aucun avocat
du barreau de Nice
ni d’ailleurs !
Comme il fut gênant
blessant
pour les citoyens de notre belle ville
de voir leur chef bien-aimé
dépaysé
démuni
faible
si vainement rouge de colère
en contrebas de votre estrade.
Quel moment cruel
embarrassant
pour nous tous
de le voir ainsi
humilié !
Que ne donnâtes-vous
président Raviot
lecture de la lettre qu’il vous adressa
au lendemain de sa citation
et qui sans nul doute
tirant quelques larmes aux parties compatissantes
aurait restauré l’honneur
dont on l’avait
inadmissiblement
dépouillé à Paris ?
(Un moment nous crûmes
quand nous le vîmes sourire
et faire tournoyer son index en l’air
près de sa tempe
les yeux écarquillés
qu’enfin
rebelle
il allait vous traiter d’imbécile.
Mais non !
il vous expliquait
que les caméras de vidéoprotection
tournent !
Aussi,
comment pourraient-elles
filmer un camion
si quand il passe
elles sont orientées vers l’autre sens ?
Réfléchissez, enfin,
mon vieux Raviot !)
Gare à sa colère
de leader
coiffé sur le poteau !
Cher président Raviot
promettez-moi
de renforcer la sécurité
de votre bel et grand palais sur la Seine.
Nice pourrait bien l'attaquer
le détruire
car son maire possède
– croyez-moi car je l’ai vue à l'œuvre –
une gigantesque
machine à pince.
Je reviens à la douleur
de m’être senti dépossédé
de mon droit de douter,
par la tendance générale
du grand navire Argo
avocats-des-parties-civiles
stationné tout devant à droite
qui me mit comme
des piquets de grève.
Quelle compétence
de psy, de prêtre, de gourou
s’arrogent ces avocats
pour décréter
que ma survie de père endeuillé
passe par des peines maximales ?
Bah
classique attitude
des professionnels en routine
à l’égard d’un hors-du-rang
tel un garagiste
méprisant votre vieille voiture
indigne à réparer.
"Y a plus les pièces".
Certes
il convient de répondre
à la demande des clients.
Plus ils sont nombreux
plus la tendance
est à la vengeance
– à quoi bon s’encombrer
des arguments qui font douter ?
D’autres robes noires
blessées dans leur âme niçoise
furent davantage
parties civiles auto-représentées
que professionnels
défenseurs de victimes.
On ne saurait leur en vouloir.
Tout Niçois en ville
en juillet 2016
les comprendra.
Il les pardonnera
de s’insurger
contre ceux qui plaidèrent le doute.
Mais
qu’on m’explique :
Si l’acquittement était
impensable
alors
de quelle victoire
se réclamer ?
En revanche
si l’acquittement était envisageable
alors
pourquoi cracher
sur ceux qui eurent l’honnêteté
le courage
de plaider le doute
– d’abord pour préparer leurs clients
à une éventuelle déception
?
Combien de centaines étaient-ils
(bis)
à Hautefaye
1870
à lyncher
brûler
manger
le nommé Monéys ?
Les plus furieux,
qui auraient-ils dévoré
à l’annonce de l’acquittement ?
Les renégats de mon espèce ?
La défense ?
La Cour ?
Leurs propres avocats ?
(Contenus par les gendarmes,
sans doute se seraient-ils
mangés entre eux.)
Non,
je ne suis pas
du parti des accusés.
Oui,
je les espérais
derrière les barreaux
plutôt que dehors.
Mais
quoique non professionnel de justice
il est de mon droit
de me proclamer
d’abord
de l’intransigeant camp des Raviot
(qu’on vit en colère
uniquement
lorsque tel ou tel
osa se réclamer des victimes
et de leur bon dos
pour briller
ou pour passer en force ou en ruse
une question
une requête.)
Nous entendîmes
au tout dernier jour de l’audience civile
que tel avocat avait su
avec la raideur d’un général prussien
enfermé dans une rondeur
toute méditerranéenne,
(si vous avez compris la notion de
rondeur méditerranéenne
écrivez-moi)
organiser en troupeau
les chats indépendants et sauvages
que nous sommes,
nous
les
avocats.
Qu’en ai-je à faire ?
Qu’en ont à faire
les spectres de la Señorita
et des autres morts
qu’au procès de leur assassinat
certains se glorifient
d’être des félins gracieux
agiles et sensuels
indomptables
irrésistiblement têtus
indépendants et sauvages
(qui plus est
en le présentant
comme une tare) ?
Animaux merveilleux,
un temps seulement
rassemblés en troupeau
au service d’un autre
d’herbivores domestiques ?
T’en foutrais
des chats sauvages.
Au Café des Deux-palais
le soir de clôture de V13
le Ruinart dit-on
coula à flots.
Au même endroit
le soir de Prom14
je vis surtout
boire de la bière
dans les divers groupes
où successivement
j’allais m’enchanter.
Arrivant tardivement à la soirée
assoiffé
je parcourus le plus court chemin
depuis la porte d’entrée jusqu’au comptoir
ce qui me fit traverser
un groupe d’avocats de la défense
– que
comme vous savez
je ne déteste pas.
Mais je ne leur parlai pas :
je voulais
avant toute chose
une pinte de Lagunitas.
On m’aperçut là
on me qualifia de traître
on m’apposa sur le front
des doigts en cornes du démon
on me voua
mot pour mot
à l’enfer.
Sans plaisanter.
Personne ne m’avait
jusqu’alors
cherché noise.
Il fallut dix minutes
après la fin du procès
pour qu’on me traite de diable.
Ce que j’y vis ?
L’éclatante satisfaction du verdict
déjà disparue
et désormais feinte
pour garder la face.
La frustration
la douleur déjà
de nouveau
maîtresses à bord.
Et moi
j’avais sans doute la tête
un peu peinée
surtout pleine de pitié
du gars qui s’en rend compte…
Et
voilà
c’est fini
presque.
Presque close,
cette chronique
où l’on arriva
comme dans ce procès
sur un char égyptien
rutilant
blindé de canons
catapultes
lyrique par défense
par défiance extrême.
AH !
rédigeant
quelquefois l’on se sentit
passionné comme un Hondelatte
habité comme un Rizet !
Finis
la presse les gens les discussions
les Jacquemin Jacquin
les McLiam Wilson
les Master the King et Master I-like-it
et les gnagnagni-gnagnani.
Le monde a présent est atterré.
Même les gens pas au courant
dans les villes non concernées
ont versé dans la sidération
l’abêtissement.
De la fin du procès
la planète entière est prostrée.
Mais j’emporte à la maison
une divine fleur de lune
aux grands pétales bleutés
cueillie dans l’allée centrale
bientôt défaite de sa robe noire
et dont la prévenance
les grimaces
et la douce singularité
sont un trésor.
Merci à tous
amour à tous.
L’on se sent aimé
comme un Johnny transpiré
à la fin d’un stade de France
torse nu
de sueur ruisselant
un grand sourire à la bouche.
Amis
tenons tête
au cannibalisme
et à la médiocrité.
Cette chronique
n’est pas tout à fait terminée.
Simply immense. Inoubliable. Tu dois être crevé.
Splendide. Merci.
J'adore votre chronique
Nul doute que vous en tout cas tenez magnifiquement tête